Pied de mouton n’est pas bon

J’ai commencé a écrire un livre sur mes voyages dans mon pays: les personnes que je rencontre , leurs comportements et surtout ce que je retiens d’elles. Leurs propos et leurs façons de faire me paraissent surprenantes. Mais je me comprends. Je vis enfermé dans une bulle sociale de sorte que des situations totalement “normales” paraissent anormales sous mon regard

Pied de mouton n’est bon” m’a été inspiré par le quotidien dans une gare routière

J’ai fini mon reportage sur Daoukro. J’ai préféré passer une troisième nuit à l’hôtel et quitter la ville par le premier car qui démarre à 6 h30.

La veille j’avais hélé un taxi pour lui demander de venir me chercher à 6h a mon hôtel. Il a non seulement acquiescé mais il m’a donné l’assurance d’être stationné devant l’hôtel des 5 H du matin. A l’heure dite, j’ai sorti mes valises, le chauffeur n’était pas là. Après une trentaine de minutes d’attente, j’ai emprunté un autre taxi pour me conduire à bon port.

Des jeunes « chargeurs » se débattaient pour embarquer un bélier de dimension impressionnante dans le volumineux coffre du car : « Mouton là est trop musclé. Si tu prends son pied c’est pas bon ». Chacun a compris le message et s’est éloigné du bélier. Il y a des scènes dramatiques où bœufs et montons se soulèvent, brisent les cordes et pourchassent les passants, provoquant des accidents graves. Quand ces cas se produisent le propriétaire de l’animal prend la poudre d’escampette pour éviter les tracasseries policières et administratives. Un mouton n’a pas d’assurance !

Je me suis installé sur un siège prêt de la vitre. Je pouvais voir villes  villages et campements. Une maman d’un certain âge s’est assise sur le siège collé au mien. Très autoritaire, elle a exigé que je range bien mes jambes à ma place afin qu’elle puisse elle aussi s’installer confortablement sur son siège. J’ai suivi ses désidératas. Elle avait raison. Il est normal que chacun respecte les normes. Tout allait bien durant les trente premières minutes du voyage. Puis elle a plongé dans un profond sommeil. Du coup mon épaule est devenue son oreiller. J’étais pris en sandwich entre la vitre et la dormeuse. J’ai beau secoué mon épaule, poussé sa tête, la dormeuse dormait à l’aise. Deux heures plus tard, un coup de frein sec du car, a coupé son sommeil : « On est déjà arrivé à Abidjan ? M’a-t-elle demandé »

J’étais en colère. Un peu courbaturé par ma position inconfortable. Je ne lui ai pas répondu.

Un passager  avait un besoin pressant : « Chauffeur, il faut arrêter. Je veux faire pipi ». Le conducteur a fait la sourde oreille. Il a renouvelé à haute voix sa demande. Pas de réaction du côté du conducteur. Cette fois le demandeur s’est levé de son siège pour aller vers le conducteur : « Mon petit tu conduits ambulance ou quoi ! Depuis je dis que je veux faire pipi tu ne t’arrêtes pas. Si je pisse dans ton car, tu vas dire quoi ? ». En fait tout le long de la ligne Daoukro-Abidjan, il n’est prévu qu’une seule pause-pipi à la sortie d’Adzopé non loin du barrage des forces de l’ordre. Les véhicules s’y arrêtent pour les contrôles de routine. C’est aussi l’occasion de remettre une petite contribution participative aux agents des forces de l’ordre. C’est un rituel. Pendant les tractations et conciliabules entre conducteurs et forces de l’ordre, les passagers descendent du car pour aller dans la broussaille.

Collé à la vitre, je regardais le paysage. Chaque village, chaque campement avait sa réplique. Si l’on traverse Kotobi1, le Kotobi des vivants, on passera nécessairement par Kotobi2, qui est le cimetière. Apparemment, les morts ne veulent pas vivre dans l’éternité loin des siens et de  leurs maisons. Pour le reste du voyage, ma voisine réveillée, a poussé un ouf de soulagement : « Le petit sommeil que j’ai eu a fait que le voyage n’a pas été long. ». J’avais envie de lui dire que le voyage a été pénible pour moi parceque  j’ai porté  son poids sur mon épaule gauche, de ce fait, je  descendrai du car une partie de mon corps endolorie. Il nous restait une bonne heure de route. Elle a sorti de son sac son téléphone portable pour me montrer la photo de son père : il venait d’avoir 90 ans. Il continuait de se déplacer à vélo pour se rendre à la plantation. Elle a terminée son histoire par la mésaventure que son vieux a eue: toute sa récolte d’igname produite a été chapardée par des gens de mauvaise moralité. Le vieux n’a rien dit. Il a simplement confié les auteurs du vol à Dieu. J’ai répondu Amen et je me suis assoupi. C’est à la grande gare d’Adjamé Renault que me suis réveillé. Je me suis aussitôt précipité vers les coffres à bagages. J’ai récupéré mes deux valises bleues. L’une contenait le matériel technique de prise de vue. L’autre, mes vêtements. Un jeune, les a chargés dans sa brouette. Il m’a trouvé un taxi. Parti de Daoukro à 6h30 je suis arrivé à la maison à 13 h.

Nianzou Ano , post du 11 juillet 2021

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